9 décembre 2013

Simili-paradoxe vegan

Lorsqu'on parle de végétalisme, plusieurs réactions sont communes et bien connues des vegan(e)s : D'abord, ce sont les carences dont il est question, puis, tout naturellement, le contenu d'une assiette-type est abordé. On s'imagine encore que le végétalien est condamné à consommer d'insipides graines germées, des légumes sans aucun assaisonnement et des mixtures étranges lui permettant de "tenir" ; sans oublier le ô combien précieux tofu, sans lequel monsieur et madame Tout-le-monde imagine qu'il est impossible de composer un repas végétal nourrissant. Cette réalité cache en vérité un paradoxe que je vous propose d'explorer : alors que le végétalien affirme s'affranchir des codes omnivores et prétend délaisser les produits animaux, un véritable marché des simili-carnés et fromages végétaux ainsi qu'une ingéniosité toujours plus grande pour imiter à la perfection les produits animaux émergent. Réflexion.

  1. Du principe.

    Le choix d'un changement d'alimentation est un acte fort, car quotidien, et qui s'opère souvent après une prise de conscience. De fait, le vegéta*ien entend changer le monde, du moins le sien, et bouleverse les codes et ses habitudes pour "le meilleur". Ainsi, il se place bien souvent "en marge" des codes établis dans la société, tout en ne pouvant s'en affranchir totalement : il faut marquer sa différence, oui, mais ce nouveau mode de vie doit aussi faire ses preuves et se montrer flexible ou tout au moins compatible avec diverses exigences : besoins nutritionnels, mais également goût, obligations sociétales, praticité, loisirs, plaisir... Alors même qu'un végéta*ien ne pense plus ses repas en fonction de la viande qui le composera, il semble redoubler d'ingéniosité pour montrer à la face du monde qu'il vit "normalement". Pourtant la manière d'appréhender les choses est bien différente, divergente, même, et on peut se questionner quant à cette tendance à "coller" aux schémas conventionnels : intelligence et technique de séduction ou bien dégonflage et incohérence ? That is the question !

  2. De la Prouesse.

    Si vous vous êtes déjà rendu sur un magasin vegan en ligne ou dans un magasin vegan tout court, ou bien même chez Tien Hiang, Végébowl, ou encore Saveurs végét'Halles pour ne citer que ceux-là, vous avez forcément remarqué que les simili-carnés étaient au menu : brochettes de crevettes végétales, "marmite de poulet caramélisé", "mozzarella",... Il est simplement incroyable que tout cela soit végétal ! Vos amis omnivores n'en reviennent pas, et vous-même, vous n'êtes plus très sûr(e) de ce que vous mangez. Certains seront plutôt réticents et trouveront à redire de ces imitations, et vous pouvez vous-même éprouver du dégoût à l'idée de ces aliments "trafiqués" qui n'ont certainement rien à envier à la junk food ominovre. Mais le fait est là : l'aspect, la texture, le goût, l'odeur même sont là et trompent les sens. Il en va de même des pâtisseries, telles celles de chez Vegan Folie's. Mais où va-t-on chercher tout ça ?

  3. Du paradoxe.

    Apparaît alors un paradoxe : Comment prétendre bouleverser les codes établis quand on cherche sans cesse à reproduire ce que l'on rejette ? Est-ce une manière de combler une frustration ? Le plaisir ne serait-il possible qu'au travers de produits animaux ? Quelle identité pour les végéta*iens ? Quelle légitimité du discours, quelle force de l'argumentaire si l'alimentation végéta*ienne se limite à un simulacre ? Mais d'autres questions sont d'importance : qui consomme ces produits, et dans quelles conditions ? Quel intérêt pour l'image ou pour la cause les simili-carnés présentent-ils ? A-t-on le droit de prétendre aimer la viande ou le fromage lorsqu'on est végéta*ien ? Tentons d'y voir plus clair.


  4. Du plaisir.

    La première fonction de l'alimentation est évidemment de nourrir, d'apporter l'énergie nécessaire au bon fonctionnement du corps. L'aliment ingéré produit une sensation de plaisir tant par son action sur les papilles gustatives que par le besoin vitale qu'il comble. On ne peut donc dissocier la notion de plaisir purement sensoriel et le plaisir de satisfaire aux besoins physiologiques de son corps. Ainsi, ce sont deux impératifs auxquels il nous incombe de répondre et cela n'est pas une mince affaire. Car, avec la cuisine, comment savoir où se trouve le curseur ? Depuis notre plus jeune âge nous avons été habitué à nous alimenter d'une certaine manière, et par-là même nous avons été conditionné. Devenir végéta*ien est pour la plupart des gens un renversement de toutes les habitudes acquises dans notre enfance. Il faut donc retrouver ses marques, le goût et les sensations, et en cela les imitations de produits animaux peuvent être une aide précieuse.
    Alors, oui, se faire une assiette de charcuterie végétale ou un plateau de "faux-mages" est questionnable lorsqu'il devient un acte quotidien, mais on ne peut nier que le goût et la texture de certains produits animaux procurent du plaisir. Il est aisé de critiquer ce genre de pratiques, même ponctuelles, et d'en déduire que ces aliments existent pour combler une frustration. Cependant, il ne faut pas faire de généralités : chacun trouve son plaisir où il le souhaite et il est honnête d'admettre qu'il est difficile de défaire les mécaniques installées durant des années et dans notre jeunesse. Enfin, un plat de viande a été étudié, concocté afin d'en "sublimer" la saveur, la texture, l'odeur... Que serait alors une soupe de crevettes au lait de coco sans crevettes (végétales) ? Le problème ne viendrait-il pas de l'appellation "crevettes végétales" qui se veut aguicheuse ? Dans ce cas précis, le plaisir n'est-il pas un moteur d'évolution et d'apprentissage ? Imiter, c'est, à mon sens, un signe d'ingéniosité, la solution parfaite pour rendre le végéta*isme aisé et compatible avec les impératifs de la vie moderne.


  5. De la tentation.

    Car la vie moderne, surtout dans les grandes villes, est inondée de stimulations diverses. Nos sens sont titillés à tous les coins de rue : les vitrines offrent des vues alléchantes, les odeurs sont omniprésentes, la publicité nous pousse à la consommation,... Comment ne pas succomber ? Certains parfums sont irrésistibles, et je trouve par exemple le fumet du poulet rôti particulièrement tentant. Que n'ai-je pas dit là ! La tentation est là, l'odeur met mes papilles en émoi, mais je ne dois pas... ! RE-SI-STER... Pourquoi résister, alors qu'à quelques pas de là, des plats de poulet végétal sont servis ? Pourquoi s'en priver ? Ca n'est pas montrer sa faiblesse, mais bien reconnaître que l'Homme a de tous temps su apprécier les bonnes choses. Le plaisir est un moteur. Et puis, il n'est pas question de nier la finesse ou le délice élaboré au fil des siècles par les populations du monde entier ! Il faut simplement rester raisonnable. Tout est une question d'équilibre !


  6. De la séduction.

    Enfin, force est de constater que la végétalisation est tendance. Et les simili-carnés sont fascinants et impressionnent beaucoup les non-initiés. Ils sont un atout séduction auprès des personnes qui connaissent mal le régime végéta*ien, mais peuvent également s'avérer être une épine dans le pied : végétaliser se fait souvent au prix de beaucoup de raffinage, de modifications, de processus industriels... le végétal en perd souvent son intérêt pour la santé et devient un produit industriel, très éloigné de la matière première. Néanmoins, il est plaisant de jouer avec les textures, de rebattre les cartes et de jouer sur les aprioris. Je crois véritablement que les simili-carnés sont à utiliser avec parcimonie mais qu'ils permettent de rassurer pas mal de personnes désireuses de sauter le pas, mais qui se croient dépendantes de leur consommation de viande quotidienne. C'est également un moyen de réunir tout le monde autour de la table, notamment lors des repas de famille... Ca n'est certainement pas LA solution qui résout les conflits, mais cela peut aider. L'imitation a toujours permis de toucher l'étranger, celui qui ne comprend pas, "l'Autre", en faisant un pas vers lui. Et fort heureusement, le régime végéta*ien a d'autres cordes à son arc ! Opération séduction : on !


  7. De la conclusion.

    Que peut-on en conclure ? Oui, les faux produits carnés sont un simulacre, une illusion, et peuvent s'avérer trompeurs : En pensant consommer végétal, on pense consommer quelque chose de sain et de physiologique. Or, la réalité de ces produits transformés est toute autre. Cependant, ils peuvent constituer un filet de sécurité pour ce qui est des sensations de plaisir procurées par l'alimentation : Devenir végéta*ien implique un changement de nos habitudes profondes et de notre manière d'appréhender l'alimentation. Il semble peu évident de s'y faire du jour au lendemain car c'est un véritable ré-apprentissage. De plus, reproduire, végétaliser peut être source de plaisir, il serait donc idiot de s'en priver. Enfin, c'est une manière pour ce mode de vie de faire ses preuves, et même de devenir à la mode... On ne nie pas le goût des produits animaux, on refuse simplement la manière dont ils sont produits. Il n'y a donc pas vraiment de mal à se faire un seitan bourguignon quand l'envie nous prend... Nous avons des organes sensoriels, ils ne sont pas là pour rien. Mettons-les à profit, faisons-nous plaisir... et surtout du bien ! ;-)
     

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